Saint-Simon (1760-1825)
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Claude Henri de Rouvroy (1760-1825), comte de Saint Simon, est un économiste et philosophe français, fondateur du saint-simonisme.
Comme ses contemporains de l'Ecole Classique, Saint-Simon souhaitait rompre avec les blocages de l'Ancien Régime, les privilèges de l'aristocratie et l'obscurantisme religieux.
Mais conscient des risques de l'hyper-individualisme avec pour seule préoccupation l'intérêt particulier, Saint-Simon a développé une forte éthique sociale et collective, allant jusqu'à élaborer le code moral d'un "nouveau christianisme".
Le projet politique de Saint Simon était de substituer à la politique une administration rationnelle de la production
L'historien André Piettre le décrit par la formule : « le dernier des gentilhommes et le premier des socialistes ».
Biographie de Claude Henri de Rouvroy, dit comte de Saint-Simon
1760 : Le comte de Saint-Simon naît à Paris dans une famille d'aristocrates.
1789 : Saint-Simon rompt avec son état nobiliaire et se met au service de la révolution.
1804 : Publication de "Essai sur l'organisation sociale", dans lequel Saint Simon prédit que "la science de l'organisation sociale deviendra une science positive".
1814 : "De la réorganisation de la société européenne". Après la chute de Napoléon, Saint SImon prône une Europe fondée sur le couple franco-anglais. Il envisage des élections et un système bicaméral.
1820 : Saint-Simon devient le grand théoricien des vertus d'une "révolution industrielle"
1824 : Dans le "Catéchisme des industriels", Saint-Simon définit les voies d'une forme de planification technocratique lancée par l'Etat..
1825 : Disparition de Saint-Simon
Pensée de Saint-Simon
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Substituer à la politique une administration rationnelle de la production
Au terme d'une nouvelle étape dans l'histoire de l'humanité, "la science de l'organisation sociale deviendra une science positive.", écrivait-il dans un "Essait sur l'organisation sociale" en 1804.
Foi dans la science et le progrès de la technique
Comme ses contemporains de l'Ecole Classique, Saint-Simon veut rompre avec les blocages de l'Ancien Régime et l'obscurantisme religieux, pour favoriser le développement des sciences et du progrès technique.
Une nouvelle religion fondée sur l'esprit scientifique
Le Point - page 42 - 9 Novembre 2017 Saint Simon rêvait de remplacer les théologiens de l'ancienne religion chrétienne, à ses yeux dépassée, par des savants, théoriciens d'une nouvelle religion qui serait fondée sur l'esprit scientifique. Puisque la Science délivre la "Vérité", il lui semblait logique qu'elle devienne objet de croyance. En outre, jugeait Saint Simon, le christianisme ayant perdu, du fait de la Révolution, la fonction organique, la fonction organique qu'il avait occupé au sein de la société, il convenait de le remplacer par quelque chose d'autre. Mais le "nouveau christianisme" de la "religion industrielle" récusait toute transcendance ("l'au-delà" chrétien, considéré comme hors de porté de la rationalité scientifique. |
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L'élite culturelle et scientifique, motrice du progrès économique et social
Saint-Simon prône un mode de gouvernement contrôlé par un conseil formé de savants, d'ingénieurs, d'entrepreneurs, de juristes, d'intellectuels, d'artistes, d'artisans, de hauts fonctionnaires et dominée par l'industrie et l'agriculture, qu'il convient de planifier pour créer des richesses et améliorer le niveau de vie de la classe ouvrière.
Pour lui, si la France perdait ses meilleurs ouvriers ou ses meilleurs mathématiciens, le mal serait irréparable. En revanche, la perte d’un préfet ne serait pas irréparable car il serait remplaçable ; en effet, il considère qu'il s'agit d'une fonction dans laquelle la personne importe peu, contrairement aux métiers exigeants savoir-faire et maîtrise d'outils.
Contrairement à l'Ecole Classique, qui misent avant tout sur les entrepreneurs innovants, Saint-Simon considère que les entrepreneurs sont importants, mais pas plus que les autres membres de l'élite culturelle.
Contrairement à l'Ecole Classique, qui reste pragmatique et bien ancrée dans le monde réel, Saint-Simon a une vision très utopique d'une société idéale, où les savants et les experts remplaceraient les politiques pour gérer l'Etat comme une entreprise.
Forte éthique sociale et collective
Contrairement à l'Ecole Classique, qui se préoccupait peu du sort des plus pauvres si ce n'est pour s'en protéger, Saint-Simon a développé une forte éthique sociale : l'élite culturelle doit être au service de la nation.
Saint-Simon place l'ambition du progrès au service de l'éthique : il est du devoir des industriels et des philantropes d'oeuvrer à l'élévation matérielle et morale des prolétaires. La régénaration de la France exige donc la mise en place d'une nouvelle élite au service de la société, qui, contrairement à l'aristocratie terrienne de l'Ancien Régime qui vivait de ses rentes, doit être "industrieuse" et au service de la nation dans son ensemble. Son influence sera décisive sur les grands industriels et banquiers du second Empire - les frères Pereire, Ferdinand de Lesseps - puis de la IIIè République, et accouchera d'une nouvelle caste dirigeante, celle des "technocrates", sous la IVe puis de la Ve, qui lancera la France dans la voie de la modernité industrielle après 1945.
C'est Saint-Simon qui invente la notion de classes, dans le souci d'intégrer toutes les classes sociales dans la voie vers le progrès et de faire bénéficier chacun des fruits de ses efforts pour le bien commun. Karl Marx reprit la notion de classe de Saint-Simon, mais avec une vision conflictuelle de la société.
Récompenser ce qui est utile à la collectivité
Contrairement à l'Ecole Classique qui compte sur la motivation de l'intérêt particulier pour faire avancer le progrès, Saint-Simon estime qu'il faut récompenser avant tout ce qui est utile à la société.
Pour sa contribution à la collectivité, chacun doit obtenir la considération de la société, et les bénéfices associés, proportionnellement à sa capacité.
Rôle planificateur d'Etat
Contrairement à l'Ecole Classique, Saint-Simon considère que le rôle de l'Etat ne se limite pas à ses seules fonctions régaliennes, mais qu'il doit planifier le développement économique, en canalisant l'énergie créatrice des entrepreneurs en fonction des intérêts supérieurs de la nation.
Méfiance à l'égard du suffrage universel
Méfiant à l'égard du suffrage universel et des majorités élues dans les régimes Parlementaires, Saint-Simon appelait à l'équilibrer par un fort pouvoir d'influence des experts.
Cette absence de confiance dans le suffrage universel est le point faible de la pensée de Saint-Simon. Au milieu du XIXème siècle l'Allemagne de Bismark (1862-1890) et le Japon de l'ère Meji (1868-1912) mettront en place ce développement industriel planifié par des experts techniques et un Etat dirigiste. Mais l'absence de démocratie fit de ces nouvelles grandes puissances industrielles des nations militaristes, qui allaient rapidement être englouties dans les deux guerres mondiales : L'Allemagne de Bismark disparue dans la défaite de 1918 et le Japon de l'ère Meji dans la défaite de 1946.
D'une certaine façon, l'aire de la civilisation chinoise a adopté avec succès un modèle de développement proche de celui préconisé par Saint-Simon.
Tout d'abord dans des pays dépendants de la protection américaine, où le dirigisme de l'Etat était tempéré par les leçons de démocratie de l'Occident :
- Le Japon, après la défaite de 1946.
- Taïwan, après la défaite en 1949 du Kuo-min-tang face à Mao sur le continent.
- La Corée du Sud, après l'échec en 1953 de l'invasion des armées communistes nord coréennes et chinoises.
- Singapour, après la sécession en 1965 de l'île peuplée de chinois de la confédération de Malaisie.
A un moindre degré, sans pour autant avoir atteint le niveau de développement des dragons asiatiques, les pays d'ASEAN alliés aux USA ayant une forte communauté chinoise (Malaisie, Thaïlande, Indonésie) ont eux aussi connu un décollage économique au cours des années 80.
Même si en Chine Communiste le parti unique entend garder le monopole du pouvoir politique, en 1979 Deng Xiaoping a engagé le pays dans la voie de la libération économique, voire même d'un début de libéralisation de la société civile. Malgré tous les blocages et les défis qui lui restent à relever, la Chine continentale a su libérer assez d'énergies créatrices au sein de sa population pour devenir la deuxième puissance économique mondiale.
La Chine, qui a réalisé un énorme investissement dans l'éducation, disposera bientôt de plus d'experts que l'Union Européenne ou les pays de l'ALENA.
Selon l'enquête PISA 2012, c'est maintenant le Vietnam, dernier pays de l'aire de civilisation chinoise encore sous-développé, qui émerge au niveau scolaire, confirmant le décollage économique des années 2010.
Enquête PISA 2012
rang 1 : Shanghai
rang 2 : Singapour
rang 3 : Hong-Kong
rang 4 : Taipei
rang 5 : Corée du Sud
rang 6 : Macao
rang 7 : Japon
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rang 17 : Vietnam
Le libre échange, source de richesse et de paix entre les nations.
Comme ses contemporains de l'Ecole Classique, Saint-Simon est favorable au libre échange, qui en générant de la richesse renforce les liens entre les nations et diminue le risque de guerre.
Défense du féminisme
Les révolutionnaires de 1789 interdisaient le vote des femmes, considérées comme "immatures", tout en les envoyant à la guillotine pour "crimes politiques". Ils firent interdire les clubs de réflexion animés par des femmes et imposèrent le modèle de la femme bourgeoise, qui ne fait pas d'études supérieures, ne travaille pas et reste au domicile pour s'occuper du foyer.
La Révolution Française ayant dénié aux femmes tous droits politiques, le code civile de Napoléon confirma la soumission des femmes en en faisant des "mineures civiles", alors que "dans les pays de la Common Law, comme le Royaume-Uni, on a accordé la citoyenneté civile aux épouses dès le XIXème siècle" (Mariette Sineau politologue à Sciences Po dans le monde du 19 Avril 2014).
Saint-Simon, fidèle à son éthique, entendait étendre les notions de "liberté", "égalité", "fraternité" aux femmes, en les considérant des citoyennes à part entière.
Cette notion du féminisme, en avance de plus d'un siècle au droit de vote des femmes (accordé par De Gaule en 1944), fut un obstacle à la diffusion du Saint-Simonisme. Plus particulièrement dans les milieux de gauche (il faudra attendre Léon Blum pour que le socialisme parle de sexualité), qui n'accordèrent jamais le droit de vote aux femmes.
Droit de vote des femmes en Europe
- 1906 : Finlande
- 1919 : Allemagne
- 1928 : Royaume-Uni
- 21 Avril 1944 : Ordonnance de de Gaulle
Fédération des gouvernements d'Europe
150 ans en avance sur son temps, Saint-Simon a eu une vision d'une union des gouvernements d'Europe.
Il avait compris que l'unification européenne se ferait un jour par le développement économique et le libre échange et non par les conquêtes militaires.
Précurseur de la France technocratique d'après guerre
A la libération, la société française s'est en partie reconstruite sur un modèle saint-simonien : Un Etat fort, modernisant ses administrations, géré par une nouvelle caste de technocratiques, avec une forte éthique sociale et citoyenne portée par les acteurs de la résistance Gaulliste et Communiste ayant accédé au pouvoir. En 1958, avec la Vème République, les technocrates supplantent définitivement les notables qui ont dominé la France de la IIIème République et ont mené la IVème République à sa perte par l'irresponsabilité politique du parlementarisme, dont les risques avaient été anticipés par Saint-Simon.
L'impact positif de la pensée de Saint-Simon
Saint-Simon a développé très tôt le concept de technocratie et de bureaucratie, qui seront très utiles pour les développements des industries lourdes du XIXème siècle, puis de la reconstruction d'après guerre au cours des années 50 et 70.
De grands dirigeants, influencés par la pensée de Saint-Simon, sont à l'origine de grands travaux pendant la Révolution industrielle :
- percement du canal de Suez (Ferdinand de Lesseps),
- développement des voies ferrées (étoile de Legrand),
- rôle grandissant des banques pour financer le développement industriel et commercial (Crédit lyonnais),
- création de l'École centrale de Lyon (François Barthélemy Arlès-Dufour),
- création de la Société d'enseignement professionnel du Rhône (François Barthélemy Arlès-Dufour),
- création de l'École centrale Paris dès 1829 par MM. Alphonse Lavallée, Jean-Baptiste Dumas, Eugène Péclet et Théodore Olivier.
- Barthélemy Prosper Enfantin, directeur de la compagnie de chemin de fer Paris-Lyon-Marseille (PLM) a eu une grande influence sur le courant libéral en France en développant la doctrine de Saint-Simon.
Des Saint-Simoniens ont également participé à des traités de libre-échange.
Durant la conquête de l'Algérie, des Saint-Simoniens dénoncèrent les crimes militaires et conseillèrent à Napoléon III une politique plus généreuse, fondée sur un partage des responsabilités et des richesses. Sans pouvoir atteindre cet objectif, qui aurait pu permettre d'intégrer les populations arabes et berbères dans l'Empire Français, de la même façon que l'Empire Romain pu absorber les populations gauloises, Napoléon III su s'opposer aux excès des colons.
Les limites de la pensée de Saint-Simon
Dérive de saint-simonisme en une sorte de secte utopique ayant la religion du progrès.
La foi dans la science et les progrès de la technique du Saint-Simonisme ira jusqu'à la constitution d'une secte publiant le "catéchisme industriel en 1824".
Pour Saint-Simon, il est du devoir des industriels et des philanthropes d'oeuvrer à l'élévation matérielle et morale des prolétaires. Cette éthique, qui aurait du rester dans une forme de morale civique, dérivera vers une sorte de religion.
Saint-Simon ne comprend pas l'importance de la politique et de la nature humaine dans les forces qui guident les sociétés, ce qui l'amène à avoir une vision utopique d'un monde où les savants et les experts remplaceraient les politiques et où l'individu serait plus motivé par l'intérêt général que par l'intérêt particulier.
Certains Saint-Simoniens ont dérivés vers le collectivisme.
La doctrine de Saint-Simon n'est pas à l'abri d'une dérive vers le collectivisme : Après avoir développé la doctrine de Saint-Simon, Saint-Amand Bazard se détache du Saint-Simonisme libéral de Barthélemy Prosper Enfantin, pour fonder une branche socialiste proche du collectivisme.
Une bourgeoise "éclairiée" et bienpensante, qui prône les bienfaits du progrès à ceux qui en sont victimes.
A forte contenance morale, la doctrine de Saint-Simon n'est pas à l'abri du discours bien-pensant politiquement correct de bourgeois qui se veulent "éclairés", sans se rendre compte qu'ils sont devenus aveugles à la souffrance des plus faibles.
Les saint-simoniens se sentaient investis d'une mission d’« apôtres ». allant « prêcher » dans plusieurs villes de France, notamment à Lyon, en 1831, lors de la révolte des Canuts. Frédéric Ozanam, qui fut lui-même bouleversé par cette révolte, écrivit un article pour réfuter le saint-simonisme dans la Tribune (n° du 28 juillet 1833). - source wikipedia
Exactement de la même façon, les bobos d'aujourd'hui vont prêcher les bienfaits de la mondialisation, dont ils sont les seuls à bénéficier, à une classe ouvrière qui en subit au quotidien les dégâts humains, soit par les plans de licenciements soit par les pressions à la baisse des salaires.
Une vision tehnocratique et bureaucratique qui n'est plus adapté au monde du XXIe siècle.
Dans l'économie de la connaissance du XXIème siècle, l'esprit technocratique et l'organisation bureaucratique deviennent des obstacles à l'innovation et à la réactivité.