Simon Leys (1935-2014)

 

 

 

 

 

 

Le Prix Nobel de littérature 2010 Mario Vargas Llosa a écrit un article, publié dans Le Point du 16 Juillet 2015, sur sa lecture du livre de Pierre Boncenne consacré à Simon Leys qui osa démystifier le culte de Mao.

 

"Les années 60 ont connu un phénomène extraordinaire de confusion politique et de délire intellectuel qui a vu un secteur important de l'intelligentsia française soutenir et mythifier Mao Tsé-toung et sa "Révolution culturelle", alors même qu'en Chine les gardes rouges faisaint passer sous leurs fourches Caudines professeurs, chercheurs, scientifiques, artistes, journalistes, écrivains et acteurs culturels, dont bon nombre, après une autocritique arrachée sous la torture, se suicidèrent ou furent assassinés. Ce climat d'exacerbation hystérique, encouragé par Mao dans toute la Chine, entraîna la destruction d'oeuvres d'art ou de monuments historiques et la persécution inique de prétendus traîtres et contre-révolutionnaires ; cette société milénaire baigna dans une orgie de violence et de folie collective qui produisit des millions de morts.

Dans l'ouvrage qu'il vient de publier, "Le parapluie de Simon Leys" (éd. Philippe Rey), Pierre Boncenne montre comment, tandis que le géant asiatique subissait la chose, en France d'éminents intellectuels comme Sartre, Simone de Beauvoir, Roland Barthes, Michel Foucault, Alain Peyrefitte et l'équipe de collaborateurs de la revue Tel Quel, que dirigeait Philippe Sollers, présentaient la Révolution culturelle comme un mouvement purificateur qui allait mettre fin au stalinisme et purger le communisme de sa bureaucratie et du dogmatisme pour instaurer une société communiste libre et sans classes.

Un sinologue belge, Pierre Ryckmans, Simon Leys de son nom de plume, jusqu'alors peu versé en politique - il se consacrait à l'étude de poètes et peintres chinois classiques et à la traduction de Confucius - horrifié par cette supercherie d'intellectuels français spécieux exaltant le cataclysme subi par la Chine sous la houlette du Grand Timonier, décida de pourfendre ce grotesque malentendu en publiant une série d'essais - "Les habits neufs du président Mao", "Ombres chinoises", "Images brisées", "La forêt en feu", entre autres - pour révéler la vérité de ce qui se passait en Chine et démystifier avec grand courage, et une connaissance directe du sujet, la sacralisation de la Révolution Culturelle opérée avec frivolité et ignorance, voire stupidité, par bon nombre d'icônes culturelles du pays de Montaigne et Molière.

Pierre Boncenne expose dans son ouvrage fascinant les attaques honteuses dont fut l'objet Simon Leys pour avoir osé aller à contre-courant et défié la mode idéologique régnant dans une bonne partie du monde occidental. Des écrivains de droite et de gauche, Le Nouvel Observateur et le Monde l'accablèrent d'insultes - sans manquer de l'accuser, bien sûr, d'être un agent au service des américains. Ce qui fit sans doute le plus mal à ce catholique fut le refus de revues franciscaines et lazaristes de publier ses lettres et ses articles qui stigmatisaient l'ignominieuse attide de conservateurs tels que Valéry Giscard d'Estaing et Jean d'Ormesson, ou de progressistes tels que Jean-Luc Godard, Alain Badiou et Maria Antonietta Macciocchi, considérant Mao Tsé-toung comme un "génie indiscutable du XXe siècle", "le nouveau Prométhée". La phrase d'Orwell n'a jamais été aussi pertinente qu'alors "L'attaque consciente et délibérée contre l'honnêteté intellectuelle vient surtout des intellectuels eux mêmes". Rares furent les intellectuels français de ces années-là, à garder la tête froide et à défendre Simon Leys en refusant de participer à une farce qui prétendait voir le salut de l'humanité dans le diabolique génocide de la Révolution culturelle chinoise.

 

 

 

 

 

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