Alexis de Tocqueville (1805-1859)

Philosophe fondateur du libéralisme politique

"La démocratie veut la liberté dans l'égalité

et le socialisme veut l'égalité dans la gêne et la servitude."

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Philosophe, sociologue, historien, homme politique Français, auteur en 1840 "De la démocratie en Amérique", texte fondateur du libéralisme politique.

 

Biographie

29 Juillet 1805 : Naissance à Paris d'Alexis-Henri-Charles Clérel, dans une famille légitimiste de la noblesse normande. Son père est Hervé Clérel de Tocqueville, comte de Tocqueville, soldat de la Garde constitutionnelle du Roi Louis XVI.

Alexis de Tocqueville compte plusieurs aïeux illustres.

1794 : Les parents d'Alexis de Tocqueville, ultra-royalistes, évitent la guillotine grâce à la chute de Robespierre en l'an II.

Enfance

Hervé de Tocqueville s'installe d'abord à Malesherbes puis au château de Verneuil-sur-Seine, « héritage d'échafaud » qui avait appartenu à Madame de Sénozan, sœur de Malesherbes, exécutée en même temps que lui.

1804 : Hervé de Tocqueville est nommé maire de la ville de Verneuil-sur-Seine.

1817 : À la Restauration, Hervé de Tocqueville est nommé préfet de la Moselle.

Etudes

1817  : Son père ayant été nommé préfet de la Moselle, Alexis fréquente le collège des Jésuites de Metz.

1823 : Bachelier

1826 : licencié en droit

Alexis de Tocqueville juriste

1827 : Alexis de Tocqueville est nommé juge auditeur au tribunal de Versailles, où il rencontre Gustave de Beaumont, substitut, qui collaborera à plusieurs de ses ouvrages.

1828-1830 : Alexis de Tocqueville assiste aux conférences de François Guizot.

1831 : Après avoir prêté à contre-cœur serment au nouveau régime, Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont sont tous deux envoyés aux États-Unis pour y étudier le système pénitentiaire américain.

1832 : Ils reviennent des USA avec Du système pénitentiaire aux États-Unis et de son application.

Tocqueville s'inscrit ensuite comme avocat. Il rencontre le procureur général de l'État de Louisiane, Étienne Mazureau, qui lui fournit un grand nombre d'informations sur le plan juridique, mais également sociologique, démographique et linguistique.

Alexis de Tocqueville écrivain et philosophe politique

1835 : Alexis de Tocqueville publie le premier tome De la démocratie en Amérique (le second en 1840), œuvre fondatrice de sa pensée politique.

Il est reçu en Angleterre par son ami John Stuart Mill, et publie son essai L'État social et politique de la France avant et depuis 1789 qui formera ses grandes bases de réflexions sur l'Ancien Régime et la Révolution. Dans un rapport sur Manchester, Tocqueville décrit la misère ouvrière dans les industries du tissu et du coton.

1837 : Grâce à son succès, il est nommé chevalier de la Légion d'honneur.

1838 : Il est élu à l'Académie des sciences morales et politiques.

Alexis de Tocqueville député

1839 : Elu député de la Manche (Valognes), siège qu'il conserve jusqu'en 1851. Il défendra au Parlement ses positions anti-esclavagiste et libre-échangiste, et s'interrogera sur la colonisation, en particulier en Algérie. Ce « libéral-conservateur » se fera aussi témoin du « rapetissement universel » emporté par la promotion au pouvoir d'une classe moyenne « ne songeant guère aux affaires publiques que pour les faire tourner au profit de ses affaires privées » (Souvenirs). Il fit en outre partie de la Société d'Économie Charitable, réunion de députés catholiques sociaux, pour la plupart légitimistes.

1840 : Publie le second tome "De la démocratie en Amérique"

1841 : Elu à l'Académie française.

1842 : Elu conseiller général de la Manche par le canton jumelé de Montebourg/Sainte-Mère-Église, qu'il représente jusqu'en 1852.

Après la chute de la Monarchie de Juillet, il est élu à l'Assemblée constituante de 1848. C'est une personnalité éminente du parti de l'Ordre, un parti résolument conservateur. Prenant conscience du poids de la classe ouvrière et de l'émergence du socialisme avec la Révolution française de 1848, qu'il considère comme une trahison de la révolution de 1789, il approuvera sans aucune réserve la répression des Journées de Juin.

Il est membre de la Commission chargée de la rédaction de la Constitution française de 1848. Il y défend surtout les institutions libérales, le bicamérisme, l'élection du président de la République au suffrage universel, et la décentralisation.

1848 : Parlant devant l'Assemblée constituante pour expliquer son refus d'inscrire le" droit au travail" dans la Constitution, il déclare "Ce qui caractérise surtout à mes yeux les socialistes de toutes couleurs, de toutes les écoles, c'est une défiance profonde de la liberté, de la raison humaine ; c'est un profond mépris pour l'individu pris en lui-même, à l'état d'homme ; ce qui les caractérise tous, c'est une tentation continue, variée, incessante, pour mutiler, pour écourter, pour gêner la liberté humaine de toutes les manières." Il fustige ce "droit-créance" particulièrement illusoire et plaçant l'Etaten situation de débiteur universel face à une population désincitée à réaliser les efforts nécessaires pour trouver un emploi".

1849 : Il est élu à l'Assemblée législative, dont il devient vice-président.

Juin - 0ctobre 1849 : Hostile à la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la république, lui préférant Cavaignac, il accepte cependant le ministère des Affaires étrangères au sein du deuxième gouvernement Odilon Barrot.

il est élu au second tour de scrutin (par 24 voix sur 44 votants) président du conseil général, fonction qu'il occupe jusqu'en 1851.

Opposé au Coup d'État du 2 décembre 1851, il fait partie des parlementaires (dont Berryer et Lanjuinais) qui se réunissent à la Mairie du 10e arrondissement de Paris et votent la déchéance du président de la République. Incarcéré à Vincennes, puis relâché, il quitte la vie politique.

Le 14 janvier 1852, il n'en adresse pas moins une lettre au comte de Chambord, lui conseillant de devenir, face au césarisme renaissant, le champion des libertés. Retiré en son château de Tocqueville, il entame l'écriture de L'Ancien Régime et la Révolution, dont le sujet porte sur le centralisme français.

1856 : Publication de la première partie de l'Ancien Régime et la Révolution. la seconde partie reste inachevée à sa mort 3 ans plus tard.

16 Avril 1859 :  il meurt en convalescence à la Villa Montfleury de Cannes, où il s'était retiré six mois plus tôt avec sa femme pour soigner sa tuberculose. Il est enterré au cimetière de Tocqueville.

Héritage de l'œuvre de Tocqueville

En France, pays où l'économie est dominée par un Etat centralisateur et la vie intellectuelle par les idées socialistes, l'oeuvre de Tocqueville a été marginalisée pendant des décennies.

Dans les années 50 , Raymond Aron sut reconnaître en Tocqueville un précurseur, notamment dans son Essai sur les libertés.

En 1989 l'effondrement du mur de Berlin libère la pensée intellectuelle de la chape de plomb marxiste. Puis en 2008, c'est au tour de l'ultra-libéralisme financier de s'effondrer avec la crise financière la plus grâve depuis 1929. Le désastre des deux idéologies du XXème siècle met en évidence la modernité de la pensée de Tocqueville. 

Mais c'est à l'étranger que Tocqueville fut le plus reconnu, aussi bien de son vivant et au XXe siècle : en Angleterre, par ses amis John Stuart Mill et Nassau William Senior, Lord Acton, Harold Laski, en Allemagne, avec Georg Simmel, Jacob Burckhardt, Ferdinand Tönnies, voire Max Weber, et Wilhelm Dilthey. En Norvège, il a influencé Jon Elster.

Aux États-Unis, il reste régulièrement cité par l'ensemble de la classe politique gouvernementale ou fédérale, suscitant des travaux et publications (David Riesman, Richard Sennett, et du conservateur Robert Nisbet), mais aussi de (re)traductions et de controverses. Ainsi, en l’an 2000, la retraduction de De la démocratie en Amérique par Harvey Mansfield et Delba Winthrop, provoqua d'importantes discussions et parfois même des altercations, Tocqueville se voyant étiqueter de penseur de droite.

Apports de la pensée de Tocqueville

L'égalisation des conditions

Dans la société aristocratique, un ordre social préétabli assigne à chacun une place, des droits et des devoirs propres. L'individu est prisonnier de la position qu'il occupe dans la hiérarchie sociale et n'est pas libre de sa destinée.

Dans une société démocratique, l'égalité des conditions (égalité juridique) modifie l'ensemble des relations entre les hommes, en faisant de l'égalité la norme. Autrement dit, l'égalité des conditions implique l'absence de castes et de classes.

Cette égalité de droit ne fait pas disparaître l'inégalité économique.

Pour exemple Tocqueville expose la relation qui s'établit entre un maître et son serviteur dans la société démocratique par rapport à celle qui règne dans la société aristocratique. Dans les deux cas il y a inégalité, mais dans l'ancienne société elle est définitive, alors que dans la société moderne elle est libre et temporaire. Libre car c'est un accord volontaire, que le serviteur accepte l'autorité du maître et qu'il y trouve un intérêt. Temporaire parce qu'il y a le sentiment désormais partagé entre le maître et le serviteur qu'ils sont fondamentalement égaux. Le travail les lie par contrat et, une fois celui-ci terminé, ils sont deux membres semblables du corps social. Les situations sociales peuvent être inégalitaires, mais elles ne sont pas attachées aux individus. Ce qui compte c'est l'opinion qu'en ont les membres de la société : ils se sentent et se représentent comme égaux, et le sont comme contractants.

Paradoxalement, l'égalité des conditions, en fragilisant toutes les relations hiérarchiques de subordination (entre les maîtres et les serviteurs, les hommes et les femmes, les adultes et les enfants), tend à détruire les liens de dépendance, de protection que le monde aristocratique a pu préserver. Mais pour Tocqueville, il y a quasi équivalence entre la démocratie (au sens politique) et l'égalité des conditions. Il considère que tous les hommes possèdent comme attribut la liberté naturelle, c’est-à-dire la potentialité d'agir librement. La liberté se traduit dans la cité par l'égalité des droits civils et civiques. On fait référence ici à la liberté, c'est-à-dire de ne pas être obligé de faire telle ou telle chose, mais aussi la liberté de prendre part à la vie publique. L'égalité des conditions renvoie à la citoyenneté.

Donc, comment recréer les liens entre les êtres humains que la démocratie, par l'égalité des conditions, tend à détruire, sans contredire l'égalité ? C'est à partir de cette question que Tocqueville va développer un « libéralisme aristocratique ».

Comme Rousseau ou Montesquieu, Tocqueville répond à cette question d'une part en enracinant le citoyen dans la vie politique par la décentralisation, les associations, etc. (Cf : fédéralisme, démocratie directe et participative) ; et d'autre part par des contre-pouvoirs d'esprits aristocrates, notamment par le rôle joué par le pouvoir judiciaire.

« Armé du bras droit de déclarer les lois inconstitutionnelles, le magistrat américain pénètre sans cesse dans les affaires politiques. Il ne peut pas forcer le peuple à faire des lois, mais du moins il le contraint à ne point être infidèle à ses propres lois et à rester d'accord avec lui-même. »

— Alexis de Tocqueville dans « Démocratie en Amérique » (Œuvre complète, vol. I, p. 280)

Dans une société démocratique, le matérialisme de la réussite sociale se substitut aux valeurs culturelles.

La nouvelle société est mobile, matérialiste et assure différemment l'intégration de ses membres. Dans la société aristocratique, les positions sociales sont figées. Or pour Tocqueville, à partir du moment où il n'existe plus aucun obstacle juridique ou culturel au changement de position sociale, la mobilité sociale (ascendante ou descendante) devient la règle. La transmission de l'héritage ne suffit plus à maintenir un niveau social et la possibilité de s'enrichir se présente à tous. La société démocratique apparaît comme une société où les positions sociales sont constamment redistribuées. Cette société ouverte permet une transformation de la stratification sociale, des normes et des valeurs. Dans une société où les positions sociales sont héréditaires, chaque classe pouvait développer des traits communs suffisamment marqués pour lui permettre d'affirmer des valeurs propres. En revanche, dans la société démocratique, les traits culturels de chaque classe s'estompent au profit d'un goût commun pour le bien-être. Ce matérialisme s'affirme lorsque l'accès à la richesse devient possible pour les pauvres et que l'appauvrissement menace les riches.

Dans une société démocratique, l'égalité des conditions alimente l'inégalité économique

Tocqueville va montrer les mécanismes par lesquels on tend vers l'état de la société : l'égalité est un principe, l'égalisation un processus. La question est de savoir comment et pourquoi la société démocratique est appelée à suivre un tel mouvement.

Pour Tocqueville si l'égalité est hors d'atteinte, c'est pour deux raisons : d'une part les hommes sont naturellement inégaux, d'autre part, le fonctionnement de la société démocratique est lui-même à l'origine de mouvements inégalitaires. L'inégalité naturelle des individus fait que certains possèdent certaines aptitudes intellectuelles ou physiques. Or en démocratie, c'est l'intelligence qui est la première source des différences sociales. Il y a une institutionnalisation des inégalités fondées sur le mérite, on parle donc de méritocratie. Si les dispositions intellectuelles ne sont pas équivalentes, il est possible par l'instruction d'égaliser les moyens de leur mise en œuvre.

Comme il a été dit plus haut, la société démocratique se caractérise par la mobilité sociale et la recherche du bien-être matériel. Pour des raisons diverses comme les inégalités naturelles, certains réussiront mieux que d'autres. Il y a donc un paradoxe puisque l'égalité des conditions conduit à alimenter les inégalités économiques. Si les membres de la société démocratique cherchent à s'enrichir, c'est aussi pour se différencier socialement. Il y a donc la conjonction de deux mouvements : une aspiration égalitaire (conscience collective) et une aspiration inégalitaire (conscience individuelle). L'homme démocratique désire l'égalité dans le général et la distinction dans le particulier.

La société démocratique est de cette manière traversée par des forces divergentes. D'une part, un mouvement idéologique irréversible qui pousse vers toujours plus d'égalité et d'autre part, des tendances socio-économiques qui font que les inégalités se reconstituent sans cesse.

Doctrine de limitation des pouvoirs définie par John Locke, Benjamin Constant et Alexis de Tocqueville.

Tocqueville défend la liberté individuelle et l'égalité en politique. Exprimant parfois des réserves sur l'évolution possible de la démocratie vers une dictature de la majorité au nom de l'égalité, et rejetant nettement à ce titre toute orientation socialiste, il est l'une des plus grandes références de la philosophie politique libérale.

Dans les démocraties, la liberté résiste difficilement à la tyrannie de la majorité et à la dictature de l'égalité .

La tyrannie de la majorité

un régime politique se caractérise par la règle de la majorité qui veut que, par le vote, la décision soit celle du plus grand nombre. Tocqueville relève que la démocratie comporte le risque d'une toute-puissance de la majorité. Parce qu'il s'exerce au nom du principe démocratique, un pouvoir peut s'avérer oppressif à l'égard de la minorité qui a nécessairement tort puisqu'elle est minoritaire. Il est évident que le vote traduit des divergences d'intérêt et de convictions au sein de la société. Il peut ainsi se faire que la poursuite de l'égalité s'exerce au détriment exclusif d'une partie de la population. Selon Tocqueville la démocratie engendrerait le conformisme des opinions dans la société à cause de la moyennisation de la société. Ainsi il dénonce l'absence d'indépendance d'esprit et de liberté de discussion en Amérique. Quand toutes les opinions sont égales et que c'est celle du plus grand nombre qui prévaut, c'est la liberté de l'esprit qui est menacée avec toutes les conséquences qu'on peut imaginer pour ce qui est de l'exercice effectif des droits politiques. La puissance de la majorité et l'absence de recul critique des individus ouvrent la voie au danger majeur qui guette les sociétés démocratiques : le despotisme.

Une société démocratique tend à sacrifier la liberté pour un Etat assurant l'égalité avec un minimum de prospérité.

C'est le deuxième risque des sociétés démocratiques selon Tocqueville. Les hommes démocratiques sont dominés par deux passions : celles de l'égalité et du bien-être. Ils sont prêts à s'abandonner à un pouvoir qui leur garantirait de satisfaire l'un et l'autre même au prix de l'abandon de la liberté. Les hommes pourraient être conduits à renoncer à exercer leur liberté pour profiter de l'égalité et du bien-être. Les individus pourraient remettre de plus en plus de prérogatives à l'État. Dans les sociétés démocratiques, il est plus simple de s'en remettre à l'État pour assurer une extension de l'égalité des conditions dans le domaine politique qui est encadré par les lois. C'est l'État qui a pour charge leur élaboration et leur mise en œuvre. À partir de là, l'État peut progressivement mettre les individus à l'écart des affaires publiques. Il peut étendre sans cesse les règles qui encadrent la vie sociale. Le despotisme prend la forme d'un contrôle. On arrive ainsi à l'égalité sans la liberté.

"Il y a une passion mâle et légitime pour l'égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever les petits au rang de grands ; mais il se rencontre aussi dans le coeur humain un goût dépravé pour l'égalité qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l'égalité  dans la servitude à l'inégalité dans la liberté." — Alexis de Tocqueville - De la démocratie en Amérique, T. I, première partie, chap. III (Vrin).

Une société démocratique génère l'individualisme

La société démocratique transforme le lien social en faisant émerger un individu autonome. C'est une source de fragilisation qui peut déboucher sur une attitude de repli sur soi. Tocqueville va montrer que l'individualisme peut naître de la démocratie. La démocratie brise les liens de dépendance entre individus et entretient l'espérance raisonnable d'une élévation du bien-être ce qui permet à chaque individu ou à chaque famille restreinte de ne pas avoir à compter sur autrui. Il devient parfaitement possible pour son existence privée de s'en tenir aux siens et à ses proches.

« L'individualisme est un sentiment réfléchi qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables de telle sorte que, après s'être créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même ».

Dans les sociétés démocratiques, l'individualisme fragilise l'esprit de citoyenneté.

En choisissant de se replier sur ce que Tocqueville appelle « la petite société », les individus renoncent à exercer leurs prérogatives de citoyen. L'égalisation des conditions en rendant possible l'isolement vis-à-vis d'autrui remet en cause l'exercice de la citoyenneté. Le premier danger de la société démocratique est de pousser les citoyens à s'exclure de la vie publique. La société démocratique peut donc conduire à l'abandon de leur liberté par ses membres, parce qu'ils sont aveuglés par les bienfaits qu'ils attendent de toujours plus d'égalité directement ou indirectement. Tocqueville souligne que l'égalité sans la liberté n'est en aucun cas satisfaisante. L'accepter c'est se placer dans la dépendance.

Les corps intermédiaires, supprimés par les révolutionnaires de 1789, doivent être rétablis pour consolider la démocratie

Selon Tocqueville, une des solutions pour dépasser ce paradoxe entre liberté et égalité, tout en respectant ces deux principes fondateurs de la démocratie, réside dans la restauration des corps institutionnels intermédiaires qui occupaient une place centrale dans l'Ancien Régime (associations politiques et civiles, corporations, etc.).

Seules ces instances qui incitent à un renforcement des liens sociaux, peuvent permettre à l'individu isolé face au pouvoir d'État d'exprimer sa liberté et ainsi de résister à ce que Tocqueville nomme « l'empire moral des majorités ».

La décentralisation développe l'esprit citoyen et défend les libertés régionales face à la tyrannie d'une majorité nationale.

Tocqueville se montre critique envers une trop forte centralisation des pouvoirs (gouvernementaux et administratifs), qui selon lui « habitue les hommes à faire abstraction complète et continuelle de leur volonté ; à obéir, non pas une fois et sur un point, mais en tout et tous les jours ». Ainsi, il fait à l'inverse l'éloge du système communal américain de l'époque (tout particulièrement celui de la Nouvelle-Angleterre, celui-ci étant plus important que dans les États plus au sud), où par le biais des Town meeting (assemblée citoyenne) la population a l'occasion d'exercer directement un pouvoir politique. Il affirme ainsi que « c'est [...] dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir », concluant que « sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n'a pas l'esprit de la liberté. »

Un libéral politique conscient des déviances d'un ultra-libéralisme financier, uniquement centré sur le profit individuel.

Pour Tocqueville, libéral politique, le progrès industriel est l'occasion de vaincre la misère et la faim. Il considère que cette pensée libérale a été trahit par les capitalistes financiers uniquement motivés par le profit personnel, hyper individualistes sans conscience sociale et morale.

Dans son rapport sur la misère ouvrière dans l'industrie textile de Manchester, il écrit : "Ici est l'esclave, là le maître ; là, les richesses de quelques-uns, ici, la misère du plus grand nombre ; là, les forces organisées d'une multitude produisent, au seul profit d'un seul, ce que la société n'avait pas encore su donner."

Tocqueville dans le second livre "De la Démocratie en Amérique" dénonce la "nouvelle aristocratie manufacturière", "une des plus dures qui aient paru sur terre" : " "L'aristocratie manufacturière de nos jours, après avoir appauvri et abruti les hommes dont elle se sert, les livre en temps de crise à la charité publique pour les nourrir".

Trop d'impôts crée du chômage

"L'élévation des taxes qui fait que le riche ne peut pas employer le pauvre comme il le ferait si une grande part de son argent n'entrait pas dans le coffre de l'Etat".

Défenseur de la propriété individuelle

"Parmi les moyens de donner aux hommes le sentiment de l'ordre, l'activité et l'économie, je n'en connais pas de plus puissant que de leur faciliter les abords de la propriété."

Contre l'interventionnisme étatique à outrance

L'argument pour imposer toujours plus d'interventionnisme étatique est que  "la sagesse seule est dans l'Etat, que les sujets sont des êtres infirmes et faibles qu'il faut toujours tenir par la main, de peur qu'ils tombent ou ne se blessent".

La Révolution n'a fait qu'accélérer un processus d'égalité déjà en cours à la fin de la Monarchie

Dans son ouvrage L'Ancien Régime et la Révolution, Tocqueville montre que la Révolution de 1789 ne constitue nullement une rupture dans l'Histoire de France. Selon lui, l'Ancien Régime s'inscrit déjà dans le processus d'égalisation des conditions qui s'explique par deux évolutions complémentaires :

Dans son annexe, il fait de l'activité du Parlement du Languedoc sous l'Ancien Régime un exemple ;

C'est la convergence de ces deux logiques qui rend de plus en plus inacceptable l'inégalité des conditions : « le désir d'égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l'égalité est plus grande ».

Il en conclut que le progrès de l'égalité a précédé la Révolution ; il en est une des causes et non une de ses conséquences :« tout ce que la Révolution a fait, se fût fait, je n'en doute pas, sans elle ; elle n'a été qu'un procédé violent et rapide à l'aide duquel on a adapté l'état politique à l'état social, les faits aux idées, les lois aux mœurs ».

Conscient de ses faiblesse économiques

Ami de l'économiste libéral anglais Nassau William Senior, il lui écrit en 1836 que la lecture de son Outline of Political Economy lui permet de combler ses nombreuses lacunes.

 

Obsolescence de la pensée de Tocqueville

Si dans de nombreux domaines, Alexis de Tocquevile a été un précurseur de son vivant et reste très moderne au XXIème siècle, il reste un homme du XIXème siècle en ce qui concerne le colonialisme et le nationalisme.

Fidèle à don idéal de liberté, il est l'un des premier à défendre l'abolition de l'esclavage dans les colonies en 1839. Mais ceci ne l'empêche pas de justifier la "mission civilisatrice" du colonialisme de la République de 1841 à 1846. Contre les préjugés raciaux de son époque, Tocqueville refuse les considérations de la thèse de son ami Joseph Arthur de Gobineau (Essai sur l'inégalité des races humaines).

Il condamne les violences des armées françaises en Afrique et s'oppose en 1848 à l'application du régime militaire en Algérie, par humanisme "des droits de l'homme", non pour le "droit des peuples à disposer d'eux mêmes", notion qui s'imposera un siècle plus tard à la sortie de la seconde guerre mondiale.

Sceptique et hanté par la corruption de la démocratie et le déclin des valeurs aristocratiques, il défend aussi une vision « de la puissance et de la grandeur nationale », s'inscrivant dans la pensée nationaliste de son époque qui allait mener au suicide des grandes puissances européennes en 1914.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sources :

Tocqueville-Piketty, même combat ? - Le Point 30 Avril 2015 - Mathieu Laine, qui dirige la société de conseil Altermind et a créé, avec Emile Servan-Schreiber, la plate-forme des marchés prédictifs Hypermind. Il enseigne la philosophie politique à Science Po et écrit en 2015 le "Dictionnaire amoureux de la liberté " (Plon

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