Jean Peyrelevade
social libéral
Biographie Jean Peyrelevade
Parcours professionnel :
- Directeur adjoint du cabinet du Premier ministre Pierre Mauroy
- Président de Suez
- Président de la banque Stern
- Président de l’UAP
- Président du Crédit lyonnais.
- Associé gérant au sein de la filiale française de Degroof, premier groupe bancaire privé belge.
Fait partie de la poignée de responsables qui, autour de Pierre Mauroy à Matignon, ont orchestré le "tournant européen" de 1983, sauvant la Présidence de François Mitterand et la France d'une faille économique.
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Livre : « Histoire d’une névrose, la France et son économie »
-Albin Michel, 215 pages 18 €- Sortie le 8 Septembre 2014
Interview Figaro Magazine 5 septembre 2014 de Jean Peyrelevade par Patrice de Méritens
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Une économie française au service de la guerre depuis l'arrivée des Francs.
Après la longue Pax Romana, le territoire de la France fut le pays dans le monde le plus souvent en guerre, contre le plus grand nombre d'autres pays.
"Notre vision de l'économie est fondamentalement celle d'une économie de guerre, au servie du souverain et à l'appui de ses rêves de puissance" (source Le Monde 24 octobre 2014)
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En France, la légitimité de l'appropriation des moyens de production par l'Etat remonte à Colbert.
La société française a une racine colbertienne, partagée par la droite comme par la gauche, avec en perspective moins la prospérité des Français que la puissance publique, moins l'échange que la souveraineté.
Colbert, Premier Ministre d'un souverain guerrier, eut pour préoccupation majeure d'aider ce dernier dans ses campagnes, par le biais d'une industrie capable de rapporter à la France de l'or - le nerf de la guerre. Il fallait être capable de fabriquer des biens qui seraient vendus à nos voisins contre monnaie sonnante et trébuchante. Colbert est au coeur de l'interprétation, en France, de l'Etat et des intérets économiques. Au moment où les Pays-Bas, presque sans Etat, conquièrent le monde par le négoce, que leur bourgeoisie prospère, que leur marine marchande se développe, Colbert fait simultanément en sorte que l'Etat se substitue aux négociants, par une méfiance qui n'est nullement prémarxiste, mais au sens pur du terme souveraine. Il reconnait l'importance de l'appareil productif et en favorise le développement, mais il se refuse à en confier les rênes à des gens qu'il ne contrôle pas entièrement.
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La France décroche par rapport à la Hollande et l'Angleterre dès le XVIIe siècle
En France, à la fin de l'Ancien Régime, la réflexion libérale était aussi avancée qu'en Angleterre : c'est au cours d'un séjour en France, où il avait rencontré Voltaire, François Quesnay et les encyclopédistes, qu'Adam Smith découvre les effets bénéfiques de la division du travail et la doctrine du "laisser-faire laisser-passer" des physiocrates.
La France comptait autant, sinon plus, de théoriciens, savants, ingénieurs et entrepreneurs que l'Angleterre.
Malgré tous ses atouts intellectuels, la France avait décroché par rapport à la Hollande et l'Angleterre depuis le XVIe siècle.
En inventant la modernité des Etats Nations Parlementaires, la Hollande, puis l'angleterre, étaient devenues des puissances maritimes marchandes beaucoup plus avancées que la France, qui était restée un pays profondément rural.
Pénalisée par une monarchie beaucoup plus conservatrice que la monarchie parlementaire du Royaume-Uni, la France commençait à prendre du retard par rapport au décollage de l'industrie anglaise. Le conservatisme de la société française et le Colbertisme, qui mettait l'économie sous contrôle de l'Etat, favorisaient la montée en puissance d'une bourgeoisie de notables, plus particulièrement celle des avocats, et étouffaient l'émergence d'une bourgeoisie d'entrepreneurs.
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La Révolution française accentue la légitimité de l'appropriation des moyens de production par l'Etat, non plus au service du Souverain, mais de la Souveraineté Nationale
Une évolution pacifique vers une monarchie parlementaire comme au Royaume-Uni aurait pu faire du marché intérieur français, de loin le plus peuplé d'Europe, un formidable débouché pour les nouvelles industries françaises.
Jean Peyrelade explique comment la France a raté son entrée dans le monde moderne lors de la Révolution : "Le point de départ décisif se situe à l'été 1792, après la fuite de Varennes et la destitution de Louis XVI. Condorcet (1743-1794), grand esprit de l'époque, philosophe, mathématicien et représentant des Lumières, est alors chargé d'élaborer un projet de Constitution, dans lequel il va inscrire la liberté de commerce et de l'industrie comme liberté fondamentale. Mais cette Constitution, dite Girondine, sera refusée dès Février 1793 par la Convention , à majorité Jacobine. Dans les mois qui suivront, les Girondins iront à l'échafaud tandis que Condorcet sera retrouvé mort dans sa cellule en Mars 1784. Le problème ainsi réglé, il n'y aura plus aucune reconnaissance de l'entreprise dans aucun texte constitutionnel français, y compris durant notre révolution industrielle, ni même lors de ce que j'appelle "la parenthèse entrepreneuriale", qui va de Louis Philippe à Napoléon III. Tel fut le virage capital initié par les Jacobins pendant la Terreur."
"En terme politiques, le constituant a donc inscrit la relation du citoyen avec l'Etat comme une sorte de lien sacré qui efface tout le reste. D'un côté le peuple français est incarné dans l'Etat, de l'autre les citoyens. Entre les deux, pas de corps intermédiaires. C'est ainsi que dans notre système, l'entreprise va devenir illégitime, l'économie de marché se construisant dans des réseaux qui échappent à l'Etat. Au point qu'elle constitue une sorte d'offense à la vision française de la souveraineté".
C'est ainsi que la Révolution Française tourna le dos au monde qui était en train de naître sous l'impulsion des anglais. Elle sombra rapidement dans la terreur des Jacobins, sous la dictature d'avocats d'affaires extrémistes, viscéralement hostiles à l'esprit d'indépendance des entrepreneurs et des savants. Ils font guillotiner Lavoisier avant qu'il puisse terminer ses expériences, au nom d'un nouvel obscurantisme qui veut que "la République n'a pas besoin de savants".
Le 2 mars 1791, la loi d'Allarde libéralise l'économie en supprimant les privilèges économiques et les corporations. Au-delà de lever les blocages économiques de l'Ancien Régime, le pouvoir centralisateur des jacobins souhaite surtout détruire tous les corps intermédiaires qui créent du lien social face à un Etat tout puissant.
Après la terreur, les penseurs de droite se focalisent sur les libertés politiques et oublient l'importance de la liberté d'entreprendre.
Le terrain économique est abandonné très tôt, la droite intellectuelle demeurant plutôt focalisée sur l'analyse de la terreur et sur la défense des libertés individuelles.
Tocqueville et Benjamin Constant ont donc analysé les abus de la majorité, les propensions totalitaires de la démocratie vis-à-vis des citoyens, sans vraiment traiter les libertés des structures intermédiaires au sein de la société civile. Cette tragique lacune s'explique par le fait que les révolutionnaires, tout comme les libéraux de la génération suivante, étaient hors du champ de conscience de l'économie.
Au XIXème siècle, le Marxisme monopolise la pensée économique, véhiculant des idées fausses sur les entrepreneurs
La gauche, seule force de mouvement du XIXème siècle, a monopolisé le débat. Karl Marx a tout écrasé sur son passage, développant une pensée argumentée et charpentée, mais radicalement fausse dans la mesure où ses axiomes de base étaient erronés. Sur les 600 pages du Capital, il ne cite que 30 fois les entrepreneurs - étonnant pour un ouvrage de cette taille entièrement consacré à l'économie - et, dans ces 30 citations, les entrepreneurs ne se voient reconnaître aucune qualité, aucune valeur ajouté. Dans la théorie marxiste l'entreprise privée n'est qu'une structure intermédiaire illégitime et parasitaire, qui gagne son argent par l'exploitation de la main d'oeuvre.
La Constitution de 1946 ignore l'entreprise
Le Général de Gaulle fait renaître la France du désastre de la défaite de 1940 et de l'occupation, mais "toujours dans sa version nationaliste et souverainiste" héritée du roi Soleil, des révolutionnaires et de l'Empereur Napoléon.
Après la Révolution Française, qui rendit les entrepreneurs illégitimes en France, le second virage historique surviendra au XXeme siècle, avec le protocole de la Constitution de 1946, traduction d'une large partie du programme du Conseil National de la Résistance (CNR). On y voit apparaître la reconnaissance du fait syndical - ce dont on ne peut que se féliciter -, mais, alors que le texte déclare que les salariés des entreprises ont le droit de se syndiquer, qu'ils ont, au travers de leurs syndicats, la capacité de discuter de leurs conditions de travail et de participer à la gestion, on se demande encore qui sera leur interlocuteur. Pas de réponse. Notre actuelle Constitution fait donc mention de l'Etat, du Président, du Parlement, , des collectivités locales, des syndicats, mais, malgré ses multiples ajouts et perfectionnements depuis 1946, elle ne reconnaît toujours pas l'entreprise : le seul acteur qui crée des richesses et fait vivre tout le reste de la société n'a aucune existence constitutionnelle.
Comme la gauche, la droite française reste majoritairement hostile aux entrepreneurs
Que la gauche postmarxiste répugne à installer l'entrepreneur en dignité est compréhensible, mais que la droite ne se saisisse pas de cette exigence est un véritable non sens.
Les atouts de la France ont toujours été entravés par le manque d'initiative privée
La France est "la seule parmi les nations industrialisées à attendre aussi peu de l'initiative privée, et autant des bureaux". Si elle a brillé par périodes, sur les plans politique, militaire, diplomatique ou culturel, elle n'a jamais été la première puissance économique du continent : la France a été dominée par les Pays-Bas au XVIIe siècle, par l'Angleterre au XVIIe siècle et XIXe siècle, puis par l'Allemagne depuis le début du XXe siècle. La France s'est projetée dans le monde, "comme si on pouvait établir la grandeur d'une nation sans trop se soucier d'économie, voire contre l'économie".
Le territoire de la France a été sur la très longue période, de l'Antiquité jusqu'à la révolution industrielle, l'un des plus peuplé, des plus riches et des plus créatifs dans le monde. il avait tous les atouts pour être la grande puissance économique européenne et maintenir le Français comme langue diplomatique et économique internationale,
Mettre l'économie au service de la seule puissance politique a été contreproductif, car comme dans l'ancienne Union Soviétique, étouffer l'initiative privée a finit par saper les bases économiques et culturelles de la puissance politique de l'Etat.
Nous sommes un vieux pays de pouvoir absolu, aux traditions guerrières, qui n'a jamais reconnu ni l'autonomie ni l'utilité des chefs d'entreprise.
Pierre Nora dans son dernier ouvrage : Recherches de la France. Au temps de l'absolutisme, "la nation ne fait corps en France" et "réside tout entière dans la personne du roi."
La révolution a opéré un transfert radical de souveraineté du roi de droit divin à une Assemblé nationale investie de tous les pouvoirs.
La République s'est confondue dès sa naissance avec la défense de la patrie, donc avec la guerre, et a voulu faire reposer son organisation sur la vertu. Ainsi, l'extrémisme jacobin a t'il placé au coeur de l'idée républicaine la supériorité de l'intérêt public par rapport à tous les intérêts particuliers. La politique l'emporte sur l'économique et l'Etat sur toute composante de la société civile. La souveraineté du peuple s'exprime sous la forme d'une volonté générale dominante et non pas, à la différence de la tradition anglo-saxonne, sous celle d'une recherche de l'intérêt général comme conciliation des intérêts particuliers.
Albin Michel (Editions) Paru le : 27/08/2014 |
Il est temps pour l'Etat français de reconnaître à sa juste valeur la place des entreprises en France. Il en va de l'économie, de l'emploi et surtout - mot tabou entre tous - de la croissance... Le constat émis par Jean Peyrelevade, éminent haut fonctionnaire et dirigeant d'entreprise français (Suez, Crédit Lyonnais), est sans appel. Mais par-delà les dysfonctionnements du système, il appelle à une véritable réflexion de fond, mêlant expérience du combat politique, érudition historique et pratique aguerrie de la gestion des grands groupes.
Jamais la névrose française n'a été diagnostiquée avec autant de clarté, de pédagogie et de finesse. Si ses symptômes remontent à la Révolution, sa crise, elle, est permanente. A travers ce tableau iconoclaste - où sont évoqués les origines du libéralisme, la domination des idéologies, mais aussi l'ignorance de la liberté d'entreprendre par toutes nos constitutions depuis deux siècles - l'auteur dévoile les conditions d'une guérison collective d'un pays aujourd'hui en proie à une morosité excessive.