Joseph Schumpeter (1883-1950)

Ecole de l'innovation

Joseph Schumpeter

"Le processus de destruction créatrice constitue la donnée fondamentale du capitalisme"

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Economiste autrichien, auteur en 1912 de la "Théorie de l'évolution économique".

Ni keynésien, ni néoclassique, on le rapproche parfois de l'École autrichienne d'économie, mais Ludwig von Mises considérait qu'il n'en faisait pas partie. Il est considéré comme l'économiste de l'effervescence et on le qualifie d’économiste hétérodoxe pour ses théories sur l’évolution du capitalisme dans la démocratie, qu'il estime voué à disparaître pour des raisons sociales et politiques.

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Max Weber Kondratiev (1892-1930)
Sociologie allemande Les cycles longs

I - Biographie Joseph Schumpeter

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8 Février 1883 : Naissance de Joseph Alois Schumpeter  à Triesch, dans la Moravie de l'Empire d'Autriche-Hongrie, aujourd'hui en République Tchèque, Joseph Schumpeter est née la même année que Keynes, qui est aussi celle de la mort de Marx.

1987 : Joseph Schumpeter à 4 ans lorsque son père, industriel du textile, meurt. Il est élevé par son beau-père militaire, qui l'envoie dans une école de Vienne fréquentée par les enfants de la noblesse autrichienne. Schumpeter s'imprègne d'une solide formation littéraire classique et des manières et des goûts aristocratiques de ses camarades.

Formation :

1906 : Part étudier à Londres.

Il se marie, mais son épouse le quitte au bout de quelques mois à cause de son infidélité. Joseph Schumpeter quitte l'Angleterre pour s'installer au Caire comme Avocat.

1908 : Publie son premier ouvrage de statistique économique "Nature et essence de l'économie théorique".

Joseph Schumpeter professeur d'économie

1909 : Plus jeune professeur associé en économie de l'Empire Austro-Hongrois, à l'université de Tchernivtsi (aujourd'hui en Ukraine).

1911 : Plus jeune professeur titulaire à l'université de Graz en Autriche..

1912 : Première édition de  "Théorie de l'évolution économique", qui place l'innovation au coeur du développement économique.

1913-1914 : Professeur invité à l'Université Columbia de New-York.

1914 : "Esquisse d'une histoire de la science économique des origines au début du XXe siècle"

Joseph Schumpeter homme politique

Après la Première Guerre Mondiale, Joseph Schumpeter abandonne provisoirement l'enseignement pour une carrière politique.

Il participe à une commission sur la nationalisation de l'industrie par le gouvernement socialiste.

Mars à Octobre 1919 : Ministres des finances de l'Autriche dans le gouvernement de coalition d'Otto Bauer. Il est contraint à la démission avant de pouvoir appliquer son plan de stabilisation, car il déplaît aux socialistes et à leurs alliés démocrates-chrétiens.

Joseph Schumpeter banquier

1921 : Président de la banque d'affaires Biedermann.

1924 : Le krach de la bourse de Vienne met en faillite la banque Biedermann etruine Schumpeter. Il mettra 10 ans à rembourser ses dettes.

Joseph Schumpeter reprend sa carrière de professeur d'université

1925 : A 42 ans, il se remarie (sans avoir divorcé de sa première épouse) avec une jeune femme de 20ans.

1925-1932 : Schumpeter enseigne l'économie à l'université de Bonn..

1926 : Sa jeune épouse meurt en couches.

1927 : Joseph Schumpeter s'installe aux USA, où il se marie une troisième fois avec une économiste.

1931 : Tournée de conférences au Japon

1932 : Schumpeter fuit le nazisme et accepte le poste que lui propose l'université de Harvard.

1936 : La publication du livre de Keynes détourne les étudiants des enseignements de Schumpeter.

1939 : Publication de Business Cycles. Schumpeter devient citoyen américain.

1940-1941 : Président de l'Econometric Society

1942 : "Capitalisme, socialisme et démocratie". Il prophétise la bureaucratisation des grandes entreprises et la financiarisation de l'économie, avec la prise du pouvoir par les comptables et les financiers. "Le capitalisme peut-il survivre ? Non, je ne crois pas qu'il le puisse.".

8 janvier 1950 : Joseph Schumpeter décède à Taconic, dans le  Connecticut aux États-Unis.

1954 : Son épouse Elizabeth Boody Schumpeter publie l'ensemble des travaux de Joseph Schumpeter  dans les 3 volumes de l' "Histoire de l'analyse économique" :

1983 : A l'occasion du centième anniversaire de Schumperter et de Keynes, Forbes publie un article de Peter Drucker, qui considère que les travaux de l'économiste autrichien sont mieux adaptés que son rival britannique à l'analyse des mutations économiques de la fin du XXème siècle et à l'élaboration des politiques économiques que celles-ci nécessitent.  

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II - Enseignements de Joseph Schumpeter

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2.1 - L'entrepreneur-innovateur est un marginal qui révolutionne l'économie

Pour Marx, le capitaliste est "l'homme aux écus" qui ne peut provenir que de la classe sociale de la bourgeoisie.

Pour Keynes, le chef d'entreprise doit gérer ses affaires en "bon père de famille", avec la rationalité et la mesure d'un petit comptable.

Pour Joseph Schumpeter, imprégné par la sociologie et le rôle des ingénieurs dans le capitalisme rhénan, l'entrepreneur est un révolutionnaire qui veut bouleverser la routine de la production. C'est un marginal animé par ses intuitions, un instinctif qui va "contre le courant". C'est un individu qui vit en marge du reste du corps social.

Sa véritable motivation n'est pas le profit, mais :

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2.2 - L'entrepreneur est à l'origine de l'innovation

L'innovation des entrepreneurs

Les économistes qui avaient précédé étaient restés attachés à un modèle dans lequel les producteurs mettaient en oeuvre des techniques connues de tous et offraient des produits indifférenciés. Dans ce schéma, la croissance économique résultait de l'accroissement des quantités de deux facteurs de production : le capital et le travail..

Schumpeter est le premier à mettre en évidence le rôle de l'innovation dans la croissance économique et le rôle de l'entrepreneur à l'origine de cette innovation.

Jean-Claude Drouin - Les grands économistes - page 95 - 2012

L'entrepreneur, selon Schumpeter, se différencie du capitaliste qui ne cherche qu'à faire fructifier son capital, sans pour autant prendre de risque : le capitaliste a donc tendance, par méfiance, à éviter l'innovation. L'entrepreneur n'est pas non plus un gestionnaire, simple administrateur de ressources économiques surtout préoccupé par l'équilibre comptable.

L'entrepreneur se distingue du producteur en se situant non dans l'ordre de la reproduction, mais dans celui de l'innovation. Schumpeter recense 5 formes de l'innovation :

Les innovations sont rapidement copiées. Il faut donc réinvestir les profits pour créer de nouvelles innovations.

Sur le long terme, c'est l'innovation qui est à l'origine de la hausse du niveau de vie.

Le plus souvent l'entrepreneur n'est pas l'inventeur d'une nouvelle technologie. Par conte, c'est son innovation qui permet de valoriser de façon utile pour la société une technologie déjà existante  mais laissée inexploitée.

Le profit est la rémunération de l'innovation de l'entrepreneur. Il disparaît lorsque son innovation est copiée par les concurrents.

L'innovation permet une meilleure utilisation des facteurs de production, ce qui crée un surplus de valeur sans toucher à la rémunération du travail, du capital ou des matières premières.

Ce profit est la juste rémunération de l'innovation de l'entrepreneur. Ce n'est pas une rente, car il disparaît lorsque l'innovation a été copiée par les concurrents.

La grand entreprise étouffe la culture entrepreneuriale et l'innovation

Schumpeter avait prévu que même dans les pays à économie de marché, les gestionnaires allaient prendre le pouvoir dans les entreprises.

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Jean-Claude Drouin - Les grands économistes - page 95 - 2012

La grande entreprise connaît la division du travail, la segmentation des fonctions et la "routine" des processus décisionnels. Pour Schumpeter, la fonction sociale de l'entrepreneur cède le pas à l'institutionnalisation de ce qu'on appelle aujourd'hui la "Recherche et Développement". Le progrès technique devient l'affaire d'équipes de spécialistes au service des états majors des grandes sociétés, elles leur sont entièrement dévouées et ne peuvent revendiquer aucune autonomie.  Dépersonnalisation et bureaucratie remplacent ainsi l'initiative individuelle.

Reléguée au statut d'actionnaires, animée par le seul appétit de l'augmentation du dividende, la bourgeoisie a perdu son pouvoir de direction économique.

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Joseph Schumpeter - Capitalisme, socialisme et démocratie - 1942

L'unité industrielle géante parfaitement bureaucratisée n'élimine pas seulement, en "expropriant" leurs possesseurs, les firmes de taille petite et moyenne, mais, en fin de compte, elle élimine également l'entrepreneur et exproprie la bourgeoisie en tant que classe appelée à perdre, de par ce processus, non seulement son revenu, mais encore, ce qui est infiniment plus grave, sa raison d'être.

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Les villes moyennes ont perdu leur industrie locale et leurs gros commerçants. Des villes comme Cognac et Reims ont perdu leur grosse bourgeoisie locale avec la vente des vignobles à des grands groupes français ou étranger.

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2.3 - Les cycles économiques

Joseph Schumpeter distingue 3 types de cycles économiques qui se superposent :

Le cycle long de Kondratiev, qui dure 50 ans.
Le cycle intermédiaire de Juglar, qui dure 10 ans
Le cycle court de Kitchin, qui dure 40 mois.
Les innovations apparaissent par "grappes" et sont à l'origine de révolutions industrielles successives.

Dans une première phase d'expansion, l'innovation provoque une vague d'investissements qui alimentent une hausse de la production et des profits. Les crédits sont abondants et les prix augmentent.

Dans un deuxième phase de crise, l'innovation est copiée jusqu'à provoquer une sur-production et une baisse des profits. Les crédits se tarissent. La production et les prix chutent.

La crise pousse les entreprises à innover. Dans un  premier temps, l'innovation détruit des emplois dans la vieille économie, puis elle crée un grand nombre d'emplois dans la nouvelle économie.

Contrairement aux classiques, pour qui les marchés ne peuvent converger que vers l'équilibre, Joseph Schumpeter démontre que l'innovation génère un déséquilibre structurel des marchés, avec des phases de crises qui succèdent à des phases d'expansions. C'est le processus normal du marché, avec un "rajeunissement écurent de l'appareil de production" dans un monde capitaliste sans cesse en mouvement.

La destruction créatrice

C'est Nietzsche qui est à l'origine du concept de destruction créatrice, qui fut appliqué à l'économie pour la première fois par l'Allemand Werner Sombart, puis développé par Schumpeter.

Dans "Capitalisme, socialisme et démocratie" Schumpeter explique comment l'innovation peut conduire à la fermeture des entreprises devenues obsolètes et la mise en chômage de leurs salariés.

La dynamique du progrès technique : les innovations arrivent par grappes

Le progrès technique dans une branche d'une filière industrielle crée des goulots d'étranglement en amont (chez les fournisseurs) et en aval (chez les clients qui ne peuvent absorber la hausse de la production). Par exemple, l'untilisation de la navette volante dans le tissage a conduit à une innovation dans le filage (spinning Jenny).

Le ressentiment de la petite bourgeoisie intellectuelle contre le capitalisme

Nicolas Guerrero - Histoire de la pensée économique en 60 auteurs - page 175 - 2015

Selon Schumpeter, la réussite du système capitaliste conduit à une concentration du capital et à la concentration de grandes entreprises appartenant à des rentiers. Ce phénomène conduit, d'une part, à un sentiment d'hostilité générale à l'égard du capitalisme, sentiment encouragé par les intellectuels déconsidérés et peu rémunérés - alors même que l'un des avantages du capitalisme est, selon lui, qu'à la différence des périodes antérieures où l'éducation était le privilège d'une élite, une proportion beaucoup plus importante de la population a accès aux études supérieures -, et , d'autre part, en raison de la bureaucratie croissante, à un recul de l'esprit entrepreneurial qui, seul, fait la force du système capitaliste.

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III - l'héritage de la pensée de Schumpeter

John Kenneth Galbraith (1908-2006) : la prise du pouvoir dans les grandes entreprises par les grands patrons

L'entrepreneur-innnovateur a été remplacé par une technostructure de dirigeants salariés spécialisés comme le montre Galbraith dans Le Nouvel Etat industriel (1967).

La complexité des stratégies nécessaires à l'extension de la grande entreprise suppose le recours à de multiples compétences qui ne epuvent être détenues par une seule personne. Aussi la firme moderne cherche-t-elle à s'attacher la collaboration de directeurs spécialisés dans les domaines relatifs à son expansion. Ainsi, l'entrepreneur individuel cède la place à un "entrepreneur collectif". Les membres de la technostructure ne sont généralement pas propriétaires du capital de l'entreprise. Il s'agit de salariés recrutés en fonction de leurs compétences techniques. Pour Galbraith, leurs motivations sont essentiellement liées au développement de la firme. le profit ne devient alors qu'un simple indicateur des performances globales de l'unité de production. Cette vision de l'évolution des économies développées rencontre cependant deux limites :

  • Beaucoup d'entreprises sont de dimension modeste (PME), le pouvoir de propriété se confond toujours avec l'autorité décisionnelle (ndlr : notamment en Allemagne où des entreprises familiales de taille intermédiaires très spécialisées ont conservé leur avance technologique au niveau mondial).
  • Les membres de la technostructure ne bénéficient que d'une autonomie relative. Lorsque les résultats de l'entreprise laissent apparaître une diminution des bénéfices, le pouvoir des actionnaires revient au premier plan.

Michaël Posner 2012 : l'innovation structure le commerce international

Jean-Claude Drouin - Les grands économistes -

L'économiste américain Michaël Posner développe dans les années 1960, à partir de la théorie de Schumpeter, une explication de l'échange international fondée sur l'avance technologique d'une industrie, ou d'une nation, et donc de sa supériorité sur les autres partenaires de l'échange mondial. La capacité à exporter d'un pays est donc directement liée au progrès technique incorporé dans le produit potentiellement exportable. Cette capacité à exporter est porteuse d'équilibres économiques, notamment en matière d'emploi, d'entrée de devises et d'équilibre extérieur.  Les investissements immatériels en R&D apparaissent alors primordiaux dans la conquête de parts de marché à l'échelle planétaire.

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Les politiques économiques inspirées par les enseignements de  Schumpeter

IV - Limites de la pensée de Schumpeter

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A la différence des libéraux, Schumpeter n'avait pas conscience des effets néfastes des situations de monopole. "Pour lui, l'apparition de monopoles est le moyen de prolonger le dynamisme de l'entrepreneur" , note l'historien de l'économie Jean Marc Daniel. En effet Schumpeter estimait que seules les très grandes entreprises pouvaient optimiser les techniques de production et les méthodes d'organisation, lancer de nouveaux produits et couvrir tous les marchés.

Mais dans le même temps, Schumpeter prédit que ces grandes entreprises monopolistiques vont étouffer l'innovation.

Devenues systémiques, les grandes banques ou les entreprises automobiles ne peuvent plus faire faillite, car elles entraineraient avec elles l'ensemble de l'économie.  Les grandes entreprises finissent par stopper le processus de destruction créatrice à la base du capitalisme.

Curieusement, Joseph Schumpeter dit une chose et son contraire, que les grandes entreprises sont celles qui ont le plus de moyens pour optimiser toutes les formes d'innovation, tout en étouffant l'esprit d'innovation des entrepreneurs et en mettant fin au processus de destruction créatrice !

Schumpeter avait bien anticipé la bureaucratisation des entreprises et la prise du pouvoir de l'économie par les financiers. Il pensait que le capitalisme ne pourrait pas y survivre. Or les entrepreneurs de la nouvelle économie ont réinjecté de l'innovation, bouleversant la vieille économie étouffée par la bureaucratie et la prise de contrôle par des fonds de pensions.

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